Forte du soutien de plus de deux millions de citoyens, "L'Affaire du siècle" arrive jeudi devant la justice, une étape clé pour les défenseurs du climat qui espèrent la reconnaissance d'une
défaillance de l'Etat dans la lutte contre le réchauffement.
Deux ans après le lancement de cette procédure, les quatre ONG requérantes -- Notre Affaire à tous, Greenpeace France, Fondation Nicolas Hulot et Oxfam France -- retrouvent les représentants de l'Etat devant le tribunal administratif de Paris.
Et pour bien rappeler le soutien sans précédent des citoyens ayant signé une pétition une pétition en ligne, une affiche géante a été installée jeudi matin sur le sol des bords de Seine proclamant: "Nous sommes 2,3 millions".
"Si L'Affaire du siècle gagne, ce serait une décision historique pour la justice climatique en France. Ça mettrait le politique face à ses contradictions écologiques: beaucoup de discours et très peu d'actes", a indiqué à l'AFP Cécilia Rinaudo, coordinatrice de Notre Affaire à tous.
"Ça fait des années que les gouvernements font de belles paroles pour le climat, que la France se positionne en championne du climat au niveau international et les résultats ne sont toujours pas là", a-t-elle ajouté.
"La condamnation d'un Etat pour inaction climatique serait historique, et pas seulement en France", insiste de son côté Cécile Duflot, directrice générale d'Oxfam France, soulignant le parallèle avec l'affaire Urgenda, devenue le modèle de la récente montée en puissance de la justice climatique.
En décembre 2019, la Cour suprême des Pays-Bas avait ainsi ordonné au gouvernement néerlandais de réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays d'au moins 25% d'ici fin 2020.
Mais une décision définitive de la justice française n'est pas pour demain.
Jeudi, les conclusions du rapporteur public, dont les parties ont reçu un aperçu, seront écoutées avec attention, même si elles ne se seront pas nécessairement suivies par le tribunal.
"Nous sommes optimistes à la lecture du sens des conclusions du rapporteur", assure Cécilia Rinaudo.
Selon des sources concordantes, il devrait demander la reconnaissance d'une faute de l'Etat à respecter ses propres engagements de réduction d'émissions de gaz à serre.
- "Pas d'une semelle" -
Le gouvernement rejette lui les accusations d'inaction, mettant en avant notamment la loi énergie-climat de 2019 qui "renforce les objectifs climatiques", en visant la neutralité carbone à l'horizon 2050 ou une baisse de 40% de la consommation d'énergies fossiles d'ici 2030.
Mais en novembre dernier, le Conseil d'Etat, dans une décision qualifiée d'"historique" par les défenseurs de la planète, a lui-même noté que la France, qui s'est engagée à réduire de 40% ses émissions d'ici 2030 par rapport à 1990, a dépassé les budgets carbone qu'elle s'était fixée.
Et la plus haute juridiction administrative française, saisie par la commune de Grande-Synthe qui s'estime menacée de submersion sur le littoral du Nord, a donné trois mois à l'Etat pour justifier de ses actions en matière de réduction des émissions de CO2.
Cette décision, qui s'ajoute à celle de la même juridiction ayant donné en juillet six mois à l'Etat pour agir contre la pollution de l'air sous peine d'une astreinte record, encourage les militants écologistes.
"On voit bien qu'il y a un durcissement de ton de la justice française envers l'État quand il ne respecte pas ses propres engagements, et derrière, le droit des populations à vivre dans un environnement sain", indique à l'AFP Marie Toussaint, co-fondatrice de Notre Affaire à tous, désormais eurodéputée écologiste.
Les ONG, qui mobiliseront leurs militants en ligne jeudi faute de pouvoir les faire venir au tribunal, espèrent aussi qu'une victoire en justice pourrait modifier le rapport de force politique au moment où le projet de loi issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, qu'ils estiment largement en deçà de l'enjeu, sera bientôt présenté en Conseil des ministres.
"On espère un sursaut", commente Cécile Duflot. "Notre volonté profonde n'est pas de faire condamner l'Etat, c'est que l'Etat agisse", assure l'ancienne ministre à l'AFP.
Et quelle que soit d'ailleurs la décision du tribunal en première instance, puis en appel éventuellement, "il y a un vrai mouvement autour de L'Affaire du siècle, qui ne lâchera pas l'Etat d'une semelle", promet Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France.