Ne l'appelez pas "M. le Premier ministre". Au Havre, à une semaine du premier tour de municipales "assez tendues", Edouard Philippe multiplie les "réunions d'appartement" pour tenter de
convaincre par petites grappes les électeurs, défendant une bière à la main son bilan et son programme.
En cercle autour d'une table où, clin d'oeil taquin des hôtes à l'actualité marquée par la crise du coronavirus, des bières "Corona" et "Mort subite" ont été disposées, la vingtaine de convives écoute M. Philippe déminer le sujet sensible: sa double casquette.
Etre Premier ministre, "est-ce que ça s'arrêtera le lendemain des municipales, en mai 2022, ou quelque part au milieu, je ne sais pas. Tant qu'il (Emmanuel Macron) me demande de servir, je sers", poursuit-il.
"Mais un jour ça va s'arrêter et je sais exactement ce que j'ai envie de faire: continuer ce que j'avais engagé en 2010", lorsqu'il a pris la tête de la mairie du Havre jusqu'en 2017, ajoute-t-il, lors de cette réunion à laquelle a pu assister un journaliste de l'AFP.
A huit jours du scrutin, M. Philippe enchaîne cet exercice ordinaire pour un candidat en campagne et qu'il affectionne: il revendique en avoir fait 132 en 2014.
Et pas question de formalisme. "Ah non!", tonne Edouard Philippe lorsqu'un invité lui donne du "Monsieur le Premier ministre".
Alors que les mignardises circulent sur une grande assiette dans ce salon au goût moderne où l'on a poussé les meubles, le chef du gouvernement essaye de faire oublier sa fonction et invoque ses racines locales et son histoire familiale.
Drôle de grand écart: ici, il devise sans veste ni cravate de l'accès des chiens à la plage en été, avant de regagner dimanche la capitale pour un Conseil de Défense exceptionnel à l'Elysée, en pleine propagation du coronavirus.
- "Il se bouffe la couenne" -
"Il fait énormément d'allers-retours, il se bouffe la couenne", observe l'un de ses ministres, en relevant "l'inquiétude" de M. Philippe.
Un sondage paru cette semaine le crédite pourtant de 42% d'intentions de vote, soit une confortable avance sur ses principaux concurrents, le communiste Jean-Paul Lecoq (25%) et l'écologiste Alexis Deck (16%).
Mais une hypothétique union de la gauche pourrait le menacer au second tour. Anticipant la manoeuvre, M. Philippe décoche une flèche: "Vous allez voir ce que ça fait des apparatchiks dans des fusions de liste", raille-t-il.
L'étude n'évalue pas non plus l'abstention, très forte en 2014 (53%), sachant qu'un sursaut de mobilisation pourrait lui être défavorable en cas de vote sanction. Samedi matin, entre les étals du marché Sainte-Cécile, un militant distribuait les tracts de M. Lecoq en exhortant d'emblée à "battre la liste d'Edouard Philippe".
Alors, devant sa petite assemblée principalement composée de trentenaires et quadragénaires, greffier, avocats, médecin, cadre du port... a priori pas vraiment décidés à voter Philippe le 15 mars, le Premier ministre ne veut "parler que du Havre".
Intarissable sur les grandes questions de mobilité (tramway, aéroport, liaison ferroviaire avec Paris) ou industrielles (éoliennes offshore), il glisse toutefois que son statut serait utile quand, après les municipales, il faudra arbitrer qui du Havre, Paris ou Rouen accueillera le futur siège social des trois ports réunis.
"Je vois bien que Le Havre a des atouts exceptionnels et j'espère convaincre le Premier ministre", ironise-t-il, promettant d'être "éloquent".
Mais il se montre aussi moins tranchant sur les dossiers écologiques (décharge de Dollemard, place du vélo...), s'en remettant aux avis de spécialistes ou d'associations.
A la fin, M. Philippe convient que "mine de rien, c'est quand même une campagne assez tendue", dans un contexte social houleux en raison de la réforme impopulaire des retraites.
Et de conclure en enfilant son manteau: "C'est bien de rappeler à tout le monde que les choix démocratiques sont faits par les gens qui votent et pas par ceux..." "Qui gueulent", complète, hilare, un convive.afp, photo - securityconference.de, Wikimedia.