"L'empereur huit jours avant avait reconnu les hauteurs du champ de bataille" Un manuscrit unique, dicté et annoté par Napoléon durant son exil à Saint-Hélène, et relatant à sa gloire la
légendaire bataille d'Austerlitz (1805), est en vente à partir de mercredi à Paris.
Long de 74 pages densément écrites, ce manuscrit dicté à son fidèle parmi les fidèles, le général Henri-Gatien Bertrand, est corrigé par Napoléon, qui barre des mots ou inscrit en marge ses remarques d'une écriture minuscule. Au total onze annotations. Il est accompagné d'un plan de la bataille sur papier calque dessiné par le général.
Alors que s'ouvre le bicentenaire de la mort de l'empereur, le 5 mai 1821, ce manuscrit sur sa plus grande victoire, le 2 décembre 1805, malgré l'infériorité numérique de la Grande Armée, est exposé depuis 10H00 à la galerie "Arts et autographes", à l'Odéon. Présenté pour la première fois en exclusivité dans le cadre de la foire d'antiquités BRAFA, il est mis en vente pour un million d'euros. Ce n'est pas une vente aux enchères.
"Il règne une effervescence, les gens nous téléphonent pour venir, les passants s'arrêtent nombreux pour regarder sur notre devanture les fac-similés du manuscrit et les citations marquantes de Napoléon. C'est bien de pouvoir montrer à tous ce document historique", relate à l'AFP Alizée Raux, fille du propriétaire de la galerie, Jean-Emmanuel Raux.
S'il existe nombre d'écrits sur cette bataille, exemplaire par son ingéniosité stratégique au point qu'elle est encore enseignée dans les écoles militaires telles que Saint-Cyr, ce texte montre un Napoléon extrêmement soucieux de sa postérité.
La "journée des trois empereurs" s'était déroulée symboliquement au jour du premier anniversaire de son sacre.
La veille, Napoléon Bonaparte semble tenaillé par sa conscience, mais le guerrier l'emporte en lui: "je perdrai bon nombre de ces braves gens, je sens au mal que ça me fait qu'ils sont véritablement mes enfants, et, en vérité, je me reproche quelquefois ce sentiment car je crains qu'il ne finisse par me rendre inhabile à la guerre".
- "L'empereur dit, ordonne, visite" -
La coalition de François 1er d’Autriche et du tsar Alexandre 1er, que finançait l'Angleterre, se dissoudra après l'échec d'Austerlitz.
Le manuscrit a été acquis dans les années 1970 par Jean-Emmanuel Raux, expert en autographes, qui l'avait trouvé lors de la vente des héritiers Bertrand dans leur château de Châteauroux.
"Personne ne regardait les écrits de Saint-Hélène à l'époque. C'est le document historique le plus fabuleux qu'on puisse trouver en mains privées sur l'histoire de France", déclare M. Raux à l'AFP.
Napoléon, bien que la Révolution soit désormais loin, écrit encore "frimaire" (du 21 novembre au 20 décembre dans le calendrier révolutionnaire). La première personne n'est pas employée, mais la formule: "l'empereur dit, fait, décide, ordonne, visite"
"Napoléon livre une version enjolivée de la bataille. On l'observe dans l'intonation des phrases. C'est le fameux soleil d'Austerlitz", observe Alizée Raux, qui a étudié en détails le document.
Toute la campagne ayant précédé la bataille, les replis, négociations pour faire croire à la faiblesse de l'armée napoléonienne, puis l'affrontement sont détaillés. Le récit insiste: "huit jours avant", l'empereur avait choisi le site où piéger l'ennemi.
Deux jours avant la bataille, Napoléon va en reconnaissance. Il ajoute de sa main: "il s'avança même si loin avec peu de monde que le piquet de son arrière-garde fut chargé par les cosaques".
L'héroïsme et l'enthousiasme sont exaltés de manière exagérée: "pas un officier, pas un général, pas un soldat qui ne fut décidé à vaincre ou à périr". Quand, après la bataille, l'empereur parcourt le champ de bataille jonché de morts et de blessés, "rien n'était plus touchant que de voir ces braves gens le reconnaître. Ils en oubliaient leurs souffrances et disaient: au moins la victoire, était-elle bien assurée?".
Les attaquants russes seront défaits en neuf heures, nombre d'entre eux noyés dans des lacs gelés.
L'ennemi est traité avec pitié, selon le récit. Quand par exemple l'empereur s'adresse à un officier russe blessé: "pour avoir été vaincu, on ne cesse pas d'être au nombre des braves".AFP