Son jardin est de moins en moins secret : Masami-Charlotte Lavault veille depuis trois ans des centaines d'espèces de fleurs derrière le cimetière de Belleville à Paris, un sacerdoce pour cette
floricultrice urbaine, pionnière de la relocalisation des fleurs françaises.
Derrière un mur d'enceinte tapissé de lierre, après avoir longé une allée d'arbres de Judée, un spectacle insoupçonné s'offre aux yeux des amateurs de fleurs: penchée sur un champ de 1.200 mètres carrés et armée d'un sécateur, Mme Lavault, dès l'aube, taille et soigne nigelles de Damas, cosmos, calendulas, gueules de loups
Deux jours par semaine, cette trentenaire procède à la cueillette de ses pensionnaires multicolores. "Il faut récolter les fleurs très tôt ou très tard, ça dépend", explique-t-elle. "Elles sont comme nous, quand elles ont chaud, elles transpirent et elles perdent leur eau, donc si on récolte quand il fait déjà chaud, elles sont moins bien hydratées, et une fleur pas hydratée, c'est une fleur qui est prête à faner" et dont la durée de vie se réduit de plusieurs jours.
"Floricultrice urbaine" depuis huit ans après une première vie londonienne dans le design industriel, Mme Lavault a été lauréate en 2017 du concours "Parisculteurs", organisé par la mairie de Paris, à qui elle loue son terrain de "pleine terre en plein dans la ville, derrière le cimetière et au pied du réservoir d'eau de Belleville".
Si elle se réjouit du "mouvement de renouveau de la fleur française depuis quelques années", elle indique avoir eu "beaucoup de mal à convaincre les gens du bien-fondé" de son projet.
"Je cultive ici entre 200 et 250 espèces, avec énormément de variétés à l'intérieur de chaque espèce. C'est beaucoup trop: en général en agriculture, on essaie de ne pas se compliquer la vie. Mais pour moi, c'est très important d'avoir une grande diversité, pour le choix que ça permet pour les clients, et aussi parce qu'un lieu où il y a beaucoup, beaucoup de plantes différentes, c'est un lieu qui est plus résilient", explique Mme Lavault, qui ne sait travailler qu'en biodynamie.
- Un champ cultivé en biodynamie -
Ses fleurs, elles les traite "mais pas du tout en chimique, avec des bactéries, c'est un traitement de prévention, c'est comme si on prenait des probiotiques", explique Mme Lavault.
Après l'entretien des plantes, une fois par semaine, elle applique ainsi des préparations fermentées, à l'aide d'un pulvérisateur dorsal sur ses fleurs qui grandissent en plein air.
"L'idée, c'est de restaurer une flore équilibrée, c'est ce que je fais avec le champ, je restaure tout le temps sa micro-flore et sa micro-faune", détaille Masami-Charlotte Lavault, qui compose avec autant de méticulosité ses arrangements floraux.
"L'art floral japonais, qui s'appelle l'ikébana, c'est la seule façon d'arranger les fleurs qui me plait vraiment", explique cette Franco-japonaise, à mille lieues du bouquet foisonnant à la française.
"Un arrangement en ikébana commence vraiment par la déambulation, on regarde les plantes vivantes, on choisit très précisément ce qu'on veut prélever et ensuite on l'arrange", explique-telle à propos de cette pratique multiséculaire qui constitue, par sa frugalité, "l'art floral du futur".
Il est tout aussi naturel, pour Mme Lavault de faire pousser ses fleurs à proximité des caveaux qui surplombent la colline de Belleville. "C'est un paradoxe dans la société occidentale", dit-elle. Mais "dans beaucoup d'autres cultures, la mort est quand même plus intégrée à la vie", relève-t-elle, en espérant amener toujours plus de vie dans son commerce. afp
"Le plus intéressant, c'est de faire de la vente directe. Pour les gens, c'est génial de pouvoir venir ici, de voir comment ça marche, de voir un champ de fleurs (). Le but de la micro-agriculture, c'est d'être au plus proche des gens qui vont consommer le produit", conclut-elle avant de reprendre son sécateur et de repartir veiller sur ses fleurs.