Niché dans une forteresse du 19e siècle dans l'est de la France, un centre de recherche abritant plus de 800 singes de neuf espèces est dans le viseur des défenseurs
des animaux. Ses responsables invoquent eux un enjeu "géostratégique".
Environ la moitié des animaux est née sur place, "l'autre partie est importée d'éleveurs agréés situés à l'Ile Maurice ou en Asie du Sud-Est", explique Pascal Ancé, directeur de la plateforme Silabe ("Simian Laboratory Europe") qui gère le laboratoire. Elle constitue la porte d'entrée pour 15% des primates arrivant en Europe.
Le centre de primatologie de l'Université de Strasbourg, installé dans le fort de Niederhausbergen construit par les Allemands en 1870 près de Strasbourg, a été créé en 1978 et s'étend sur sept hectares de terrain boisé.
Les primates sont utilisés pour différents types de recherche, du biomédical à l'étude du comportement animal. Macaques rhésus, ouistitis, singes verts... ces animaux restent en quarantaine avant de partir vers des centres de recherche comme l'Inserm ou l'Institut Pasteur.
Dans le laboratoire, des prélèvements biologiques (sang, plasma, liquide céphalo-rachidien, urines...) sont effectués. Silabe peut aussi réaliser des études précliniques comme "administrer un traitement et s'assurer qu'il n'y a pas d'effets secondaires", explique Pierre-Henri Moreau, chef de projet.
Depuis des années, des associations militent pour la fermeture du centre, telle Pro Anima, qui défend une recherche scientifique ne recourant pas aux animaux.
"On essaye vraiment de promouvoir les avancées de la science, qui de manière de plus en plus évidente, montrent qu'on a de moins en moins besoin, voire plus besoin des animaux pour la recherche biomédicale", explique Lilas Courtot, conseillère scientifique de Pro Anima et cancérologue au Centre de recherche en cancérologie de Toulouse (sud-ouest).
En février, Pro Anima a obtenu en justice une réduction de l'activité en raison de risques de contamination de l'environnement. Après deux mois d'activité réduite aux "affaires courantes", le centre a retrouvé son agrément après avoir organisé une enquête publique sur son impact environnemental.
Chine ou États-Unis "On a environ deux recours par an, en cinq ans on a dû en avoir au moins une dizaine", explique à l'AFP Michel de Mathelin, premier vice-président de l'Université de Strasbourg, dénonçant un "harcèlement administratif".
Il affirme qu'il y a "un vrai enjeu, pour la France et l'Europe, de souveraineté" à conserver des centres de primatologie comme celui de Niederhausbergen.
Une fois partis de Silabe pour des laboratoires, les primates peuvent être utilisés dans la recherche de vaccins contre le sida ou pour les neurosciences (maladies de Parkinson, d'Alzheimer).
"Si on n'a pas accès aux primates non humains, ça veut dire que cette recherche ne peut pas être conduite en Europe et devra se faire dans des pays comme la Chine ou les États-Unis. C'est donc un enjeu géostratégique et de santé publique", justifie Pascal Ancé.
Ces débats se jouent en pleine inflation des prix d'achat des primates destinés à la recherche, en raison d'une forte demande.
"La demande a commencé à augmenter dès la fin des années 2016-2017 en raison de nouveaux traitements nécessitant le recours et la validation à travers le modèle animal", explique Pascal Ancé. "À partir de cette date, on a eu une demande croissante, qui s'est accentuée avec la crise sanitaire", le développement de vaccins contre le Covid-19 nécessitant "énormément d'animaux".
En outre, "la Chine a fermé ses frontières parce qu'elle sait très bien que c'est un enjeu stratégique : les Chinois gardent donc la ressource pour leur propre développement". Foto-Nagen chaudhary, Wikimedia commons.