Comme en 2022, le président de la République renvoie dos à dos le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire dans cette campagne des législatives
anticipées, une tentative de convaincre l'électorat que la coalition présidentielle représenterait le seul choix raisonnable. Mais sa stratégie semble cette fois-ci vouée à l'échec.
Jusqu'où ira Emmanuel Macron dans sa stratégie du "moi ou le chaos" ? S'exprimant dans le podcast "Génération Do It Yourself" le lundi 24 juin, le président de la République a estimé que les programmes des "deux extrêmes" mènent "à la guerre civile".
"Il y a un danger, c'est pourquoi je pense que le Rassemblement national et La France insoumise répondent à de vrais problèmes, de vraies colères, de vraies angoisses, celles des personnes qui disent 'on ne répond pas à mon problème de sécurité', celles qui disent 'je ne suis pas reconnue et protégée parce que je suis musulmane'", a-t-il déclaré. Mais, selon lui, "ils répondent mal à ces défis en augmentant la conflictualité et en risquant de provoquer une guerre civile".
Depuis le début de la campagne pour les élections législatives anticipées (30 juin et 7 juillet), la stratégie de Macron est claire : opposer le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire afin de convaincre les électeurs de voter pour la coalition présidentielle Ensemble.
Son Premier ministre Gabriel Attal et les figures de la macronie ont repris ce message sans faille, le martelant systématiquement sur les plateaux de télévision et dans les studios de radio, mettant en garde contre le danger "des extrêmes". "Le vote utile contre les extrêmes, dès le premier tour le 30 juin, ce sont les candidats Ensemble pour la République", a encore affirmé Gabriel Attal devant des journalistes le lundi 24 juin.
"Emmanuel Macron est en grande difficulté, donc pour des raisons tactiques, il ressort sa stratégie du 'moi ou le chaos'. En dépeignant les alternatives comme des extrêmes et des solutions qui représenteraient un grave danger pour la nation, il mise sur un sursaut de l'électorat qu'il considère comme raisonnable. C'est devenu une habitude chez lui de se poser en rempart protecteur. Il l'a déjà fait lors de l'élection présidentielle de 2022 au début de la guerre en Ukraine et il l'a répété lors des élections européennes en affirmant que l'Europe était menacée, comme en 1938. Il ramène toujours le débat au clivage entre le camp de la raison et les autres", analyse le politologue Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof.
Cette stratégie ignore la réalité des étiquettes politiques – le Rassemblement national étant bien un parti d'extrême droite, tandis que la coalition du Nouveau Front populaire est simplement de gauche – mais elle a partiellement payé il y a deux ans.
Le ministère de l'Intérieur classe les partis politiques par nuances à chaque élection. Selon lui, le Rassemblement national est un parti d'extrême droite, tandis que les quatre principaux partis du Nouveau Front populaire – La France insoumise, le Parti socialiste, les Écologistes et le Parti communiste français – sont classés comme des partis de gauche, et non d'extrême gauche. Le RN a contesté cette classification, mais le Conseil d'État, plus haute juridiction administrative du pays, l'a validée dans une décision rendue le 11 mars 2024.
Un président impopulaire Après avoir appelé les électeurs de Jean-Luc Mélenchon à faire barrage contre l'extrême droite au second tour de l'élection présidentielle de 2022, Emmanuel Macron n'avait pas hésité, deux mois plus tard, à mettre un signe égal entre le Rassemblement national et la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) lors des élections législatives.
La manœuvre avait partiellement réussi : après un premier tour où la Nupes était arrivée en tête du scrutin au niveau national, elle n'avait finalement réussi à faire élire que 151 députés à la fin du second tour, contre 251 pour la coalition présidentielle (Renaissance-MoDem-Horizons) et 89 pour le RN. Le refus des candidats macronistes arrivés en troisième position d'appeler leurs électeurs à voter contre l'extrême droite en est l'une des raisons : sur 61 circonscriptions où le second tour opposait la Nupes au RN, 29 ont refusé de le faire, selon un décompte du journal Le Monde. Toutefois, le président n'avait pas obtenu de majorité absolue.
Deux ans plus tard, la situation est très différente. Le début du second mandat d'Emmanuel Macron, marqué par une réforme des retraites qui a mis des millions de personnes dans les rues et une loi sur l'immigration qui a choqué une partie de son électorat, a renforcé le rejet dont le président faisait déjà l'objet.
Selon le politologue Jérôme Jaffré, il y a une "hostilité viscérale de l'électorat populaire" et une "perte de ses électeurs de 2022". "Selon l'Ifop, seulement 58 % des électeurs macronistes du premier tour de 2022 veulent revoter pour un candidat Ensemble pour la République", affirme-t-il dans une interview accordée au Figaro le mercredi 26 juin.
Seuls 26 % des Français se disent satisfaits de l'action du président de la République, selon le baromètre Ifop publié le dimanche 23 juin dans le Journal du Dimanche. Un niveau de popularité au plus bas, comparable à celui atteint lors de la réforme des retraites ou de la crise des Gilets jaunes, selon l'institut de sondage.
Les candidats de Macron en ont bien conscience. La plupart d'entre eux ont choisi de ne pas mettre la photo du président sur leurs tracts, préférant celle du Premier ministre ou simplement la leur. Et lors du premier débat télévisé le mardi 25 juin sur TF1 entre Jordan Bardella, Manuel Bompard et Gabriel Attal, le nom du président n'a pas été prononcé une seule fois par le Premier ministre.
"Un effet d'usure" Résultat : entre un président impopulaire et une politique menée ces deux dernières années qui n'a pas convaincu, la stratégie du "moi ou le chaos" montre des signes d'essoufflement. Les sondages accordent environ 20 % des intentions de vote à la coalition Ensemble, contre 28 à 30 % pour le Nouveau Front populaire et entre 33 et 36 % pour le Rassemblement national.
"Il y a un effet d'usure. Les électeurs se souviennent qu'il a déjà dit la même chose par le passé. Ils se rappellent aussi qu'il avait affirmé 'votre vote m'oblige' au soir du second tour de la présidentielle de 2022 et qu'il s'en est finalement distancié. C'est pareil quand il assure dans sa récente lettre aux Français qu'il veut gouverner différemment. C'est quelque chose qu'il a déjà répété à plusieurs reprises. Les gens n'y croient plus", estime Bruno Cautrès du Cevipof. Foto-Remi Jouan, Wikimedia commons.