Malgré un bilan mitigé, la stratégie répressive adoptée par la France depuis 50 ans pour lutter contre la consommation de drogues reste inchangée. Premier consommateur de cannabis en
Europe, le pays continue d’intensifier ses mesures contre les consommateurs et les trafiquants, comme l’illustre la récente "cause nationale" proclamée par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau.
Une rhétorique dure pour un fléau persistant
Depuis sa prise de fonction en septembre, Bruno Retailleau s’est illustré par des déclarations musclées visant le trafic de stupéfiants. Évoquant une "mexicanisation" du pays et une "guerre aux gangs de la drogue", son discours s’inscrit dans la continuité des politiques menées depuis la loi de 1970 sur la prohibition des stupéfiants. Chaque gouvernement tente d’accentuer la répression, espérant juguler un problème de plus en plus enraciné.
Retailleau a particulièrement insisté sur la responsabilisation des consommateurs. "Il n’y a pas d’offre sans demande", a-t-il martelé au Sénat le 23 octobre, tout en promettant une intensification des amendes forfaitaires délictuelles (AFD), mises en place en 2020. Ces amendes de 200 euros, visant à simplifier les procédures judiciaires, ont permis d’accroître les interpellations. Toutefois, seulement un tiers sont payées, et la consommation de drogues reste stable.
Une consommation de cannabis qui explose
La France affiche un des taux de consommation de cannabis les plus élevés d’Europe, selon l’Agence européenne des drogues (EUDA). En 2021, près de 47,3 % des Français âgés de 15 à 64 ans avaient déjà consommé du cannabis, contre 34,8 % en Italie ou 17,8 % en Suède. Pire, cette tendance est en constante hausse : 12,7 % en 1992 contre 50,4 % en 2023.
L’usage d’autres drogues suit une trajectoire similaire. En 2023, 14,6 % des adultes avaient expérimenté une drogue illicite autre que le cannabis, une augmentation de 50 % par rapport à 2017. Ces chiffres témoignent de l’échec d’une politique focalisée sur la répression sans répondre à la complexité du phénomène.
Un marché florissant et des réseaux plus sophistiqués
Le marché de la drogue en France est estimé entre 3,5 et 6 milliards d’euros, impliquant près de 200 000 personnes. La baisse des prix, notamment de la cocaïne, et l’expansion des trafiquants vers des zones rurales accentuent la pénétration des drogues. Les dealers exploitent les technologies modernes pour contourner les obstacles : publicité sur les réseaux sociaux, livraison à domicile, et professionnalisation des réseaux.
"Cette offre massive et structurée rend la répression inefficace", analyse Clotilde Champeyrache, experte en géopolitique des mafias. "Les consommateurs, souvent dépendants, ne peuvent être dissuadés par la seule crainte des sanctions."
La montée des violences : vers un "narcoterrorisme"
Cette professionnalisation s’accompagne d’une recrudescence des violences, notamment à Marseille, théâtre de fusillades et de "narchomicides". Ces actes criminels, qui impactent directement les habitants, installent un climat d’insécurité qualifié par certains de "narcoterrorisme". Les habitants subissent une pression constante, renforcée par la médiatisation des drames liés à cette guerre des gangs.
Face à cette situation, l’État a répondu par des opérations coup de poing médiatiques, comme les "opérations place nette". Mais les résultats sont maigres : entre septembre 2023 et avril 2024, ces interventions ont mobilisé 50 000 policiers pour saisir moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros.
Une nouvelle approche en gestation ?
Le gouvernement entend désormais changer d’approche. Le 8 novembre, Retailleau et le ministre de la Justice, Didier Migaud, ont annoncé la création d’un parquet national spécialisé et une "DEA à la française", visant les réseaux criminels de grande envergure plutôt que les petits dealers. Cette réforme pourrait marquer une rupture, à condition de disposer des moyens nécessaires.
Cependant, les experts restent sceptiques. "La lutte contre les trafiquants exige des ressources importantes pour une police judiciaire affaiblie", rappelle Champeyrache. Par ailleurs, l’absence d’une approche coordonnée avec le ministère de la Santé soulève des questions, la prohibition restant avant tout un enjeu de santé publique.
Un avenir encore dominé par la répression
Malgré les promesses d’une stratégie plus ciblée, le volet préventif reste en retrait. L’accent mis sur la répression montre ses limites face à une consommation qui progresse et des réseaux toujours plus innovants. Pour l’instant, la France semble destinée à poursuivre une politique où le "logiciel répressif" demeure prédominant. Foto-An employee of the DEA, Wikimedia commons.