Après la mise en examen et le transfèrement en métropole de plusieurs responsables indépendantistes soupçonnés d'avoir commandité les émeutes qui ont touché
l'archipel du Pacifique Sud, les violences ont repris en Nouvelle-Calédonie. Deux autres militants ont été écroués, mardi, à Nouméa, sans être transférés vers l'Hexagone. La Cellule de coordination de terrain, à l'origine du mouvement de protestation, dénonce une "justice coloniale".
Après une période de calme précaire sur l'archipel, le cycle des violences a repris en Nouvelle-Calédonie alors que deux nouveaux militants indépendantistes ont été écroués, mardi 25 juin, à Nouméa, mais sans être transférés vers la métropole, contrairement à neuf autres personnalités interpellées et mises en examen.
Ces deux militants, Gilles Jorédié et Joël Tjibaou, l'un des fils de Jean-Marie Tjibaou, figure de l'indépendantisme kanak assassiné en 1989, sont soupçonnés d'avoir commandité les violences touchant l'archipel du Pacifique Sud depuis la mi-mai. Ils ont été placés en détention provisoire au centre pénitentiaire de Nouméa (Camp Est).
"Le fait qu'il ne soit pas parti en France est un soulagement", a commenté l'avocate de Jean-Marie Tjibaou. "Il a toujours essayé de contrôler la situation, avec l’objectif qu’il n’y ait aucun mort, ni aucun blessé. Il voulait mener un combat pacifique", a assuré Me Claire Ghiani, interrogée par le média Nouvelle-Calédonie la première, estimant que cette décision de justice allait dans le sens d'un apaisement.
"Leurs avocats ont compris que leurs clients allaient être immédiatement expulsés vers la France, comme les autres militants. Ils ont donc demandé un délai avant de comparaître [devant le juge des libertés et de la détention]. Or, entre-temps, l'avion militaire qui avait été affrété a quitté Nouméa. S'ils n'ont pas été expulsés, c'est uniquement pour des raisons logistiques", estime François Roux, avocat honoraire du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) et spécialiste du droit international.
Onze indépendantistes mis en examen
Ces décisions interviennent six semaines après le début des violences qui ont fait neuf morts sur l'archipel, selon le dernier bilan des autorités, les plus graves depuis "les événements" des années 1980. Le procureur de la République a annoncé, lundi, le décès d'un jeune homme de 23 ans en état de "détresse respiratoire" après s’être rendu sur des barrages à Nouméa. Plusieurs centaines de personnes ont également été blessées dans les émeutes survenues à partir du 13 mai, après le vote d'un projet de loi constitutionnelle réformant le corps électoral pour le scrutin provincial prévu fin 2024. Elles ont entraîné des dégâts colossaux, d’un coût estimé à 1,5 milliard d’euros.
Ce projet de loi qui avait pour but, selon les indépendantistes, d'assurer l'hégémonie du camp loyaliste, a été suspendu le 12 juin par Emmanuel Macron, dans la foulée de la dissolution de l’Assemblée nationale. Mais l'arrestation de plusieurs figures de la Cellule de coordination de terrain (CCAT) et leur transfert vers l'Hexagone a ravivé les braises de la contestation : bâtiments et véhicules incendiés, poste de la police municipale saccagé, école brûlée dans le nord du Grand Nouméa... des pompiers de Dumbéa ont également fait état de tirs à balle réelle sur leur véhicule.
Lundi matin, de nombreux établissements scolaires sont restés fermés et la voie express menant à l'hôpital a été bloquée dans les deux sens. "Aucune des personnes incarcérées en France n'a jamais appelé à des actes de violence. Je rappelle que parmi elles, il y a deux mamans qui ont laissé des enfants en bas âge sur place. Tout ceci est contraire à la convention européenne des droits de l'Homme", estime François Roux qui s'interroge également sur la suite des investigations alors que les juges d'instruction sont restés en Nouvelle-Calédonie.
Les onze militants, dont Christian Tein, le porte-parole de la CCAT, ont été mis en examen notamment pour complicité de tentative de meurtre, vol en bande organisée avec arme, destruction en bande organisée du bien d'autrui par un moyen dangereux.
"Martyrs de la justice coloniale"
Ces arrestations semblent avoir remobilisé le camp indépendantiste qui réclame la libération des responsables incarcérés en France et dénonce "une justice coloniale" à l'œuvre. Daniel Goa, président du parti indépendantiste Union Calédonienne, a défendu dans un communiqué les responsables de la CCAT qui "ne sont en rien des commanditaires d’exactions mais aujourd’hui des martyrs de la justice coloniale".
Lors d'une conférence de presse, mardi, associant la plupart des mouvements indépendantistes, le secrétaire général de l'Union calédonienne, Dominique Fochi, a dénoncé les "déportations" de militants kanak. "Ce sont des pratiques coloniales et ces pratiques que l'on voit aujourd'hui, ce sont les mêmes que celles de 1984-1988, c'est grave", a-t-il fustigé, estimant que "ce gouvernement a cassé 36 ans de paix en trois jours".
"C'est compréhensible du point de vue de leur stratégie politique. Les indépendantistes utilisent une grammaire qui a vocation à décrédibiliser, délégitimer l'ensemble des institutions qui peuvent être directement ou indirectement liées à l'État. Mais avant l'arrestation de leurs responsables, ils ne dénonçaient aucune justice coloniale", affirme Bastien Vandendyck.
"La Nouvelle-Calédonie est dans une situation qui relève du droit international de la décolonisation. La justice rendue l'est dans un pays colonisé", assure de son côté François Roux. "La jurisprudence des Nations unies est parfaitement claire à ce sujet. Il y a un comité de décolonisation qui suit la situation et auprès duquel la France doit faire un rapport presque tous les ans", rappelle l'avocat du FLNKS.
La paix civile menacée
Les accords de Matignon, signés le 26 juin 1988 puis ceux de Nouméa, le 5 mai 1998, constituent la base juridique et politique du processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie. Le dernier référendum programmé sur l'indépendance de l'archipel a été organisé le 12 décembre 2021, malgré la demande de report formulée par les indépendantistes en raison de l'épidémie de Covid-19. La participation à ce scrutin avait été de 43,87 %. Le "non" l'avait emporté avec 96,50 % des voix.
Alors que la campagne des législatives peinent à exister sur l'archipel face à l'urgence sécuritaire et ce malgré d'importants renforts envoyés sur place, responsables politiques, associatifs et citoyens du Caillou s'interrogent sur les moyens de renouer les fils du dialogue entamé il y a près de 40 ans.
"Il faut souligner qu'il y a dans le camp indépendantiste des voix beaucoup plus respectueuses des processus démocratiques et qui sont aujourd'hui, elles, dans la perspective de construire un nouvel accord politique", veut croire Bastien Vandendyck. "Mais pour sortir de la crise, il faut d'abord le retour au calme. Les tensions perdurent et les populations sont de plus en plus en colère. Les émeutiers ont méthodiquement détruit toute l'économie d'un territoire qui va faire un bond terrible dans le passé. Aujourd'hui, des milices indépendantistes tirent sur la police. Demain, il ne faudrait pas que cela soit les Calédoniens qui se tirent dessus".
"Dans la situation dans laquelle se trouve la Nouvelle-Calédonie, la solution pourrait être la création d'une commission Vérité et réconciliation ainsi que la mise en place le plus rapidement possible d'une mission de l'ONU", estime François Roux. "Encore une fois, le problème de la Nouvelle-Calédonie n'est pas une question franco-française. Elle relève du droit international". Foto-Barsamuphe, Wikimedia commons.