La Cour constitutionnelle albanaise examinera, jeudi à Tirana, les recours déposés contre le "plan migration" signé entre l'Albanie et l'Italie. Le texte prévoit d'envoyer dans le pays des Balkans
les migrants secourus en mer par les autorités italiennes.
C'est à la justice de trancher. La ratification de l'accord entre Rome et Tirana concernant l'externalisation d'une partie des migrants interceptés au large des côtes italiennes est suspendue. Une audience est prévue jeudi 18 janvier devant la Cour constitutionnelle albanaise qui doit étudier les recours déposés par une trentaine de députés proches du Parti démocratique, la formation de l'ancien Premier ministre albanais Sali Berisha, et par le parti lui-même.
L'accord, signé le 6 novembre 2023 par la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, et par son homologue albanais, Edi Rama, prévoit que deux centres d'accueil de migrants, gérés par l'Italie, seront créés en Albanie. Ils accueilleront environ 39 000 demandeurs d'asile chaque année, 3 000 personnes pourront y être prises en charge à la fois. Ces centres seront établis dans le port de Shengjin et sur le site de l'ancien aéroport de Gjader, dans le nord du pays. Il s'agit d'accueillir des migrants secourus en mer Méditerranée par les garde-côtes ou par la police italienne.
L'Italie financera les infrastructures pour le séjour des migrants en Albanie. Le pays prendra aussi en charge d'éventuels frais de santé ou de départ des migrants à la fin de la procédure de demande d'asile. Rome dédommagera aussi Tirana pour la surveillance extérieure des centres d'accueil dont sera chargée la police albanaise, si le projet est ratifié.
Le coût global du projet s'élève à 200 millions d'euros, selon le gouvernement italien. "Il n'y aura pas de dépense du côté albanais. Rome prendra tout à sa charge", résume Teuta Vodo, politiste, enseignante à Sciences-Po Paris et ancienne ministre albanaise de la Justice.
Une partie du territoire albanais sous la juridiction de Rome
À Tirana, le projet suscite des réactions pour le moins mitigées. Pour l'analyste albanais Andi Bushati, cité par le Courrier des Balkans, "l'accord signé par les deux Premiers ministres pour accueillir les réfugiés que l'Italie n'acceptera pas réduit notre pays au rang d'une république bananière. (...) Des fragments du territoire national sont cédés à la convenance personnelle d'un Premier ministre qui pense n'avoir plus de comptes à rendre à personne".
Pour l'opposition, c'est là où le bât blesse. "Elle dénonce le fait que l'accord n'a pas été autorisé par le président de la République alors que ces centres seront placés sous la juridiction de Rome. Les Italiens peuvent-ils gérer une partie du territoire de l'Albanie, un pays souverain ?", s'interroge Teuta Vodo.
L'opposition dénonce également une violation de la Convention européenne des droits de l'Homme. "Les migrants seront limités dans leurs mouvements. Ils devront rester à l'intérieur de ces centres", poursuit la politologue.
En Italie, la Première ministre joue gros. La présidente du parti d'extrême droite Fratelli d'Italia (Frères d'Italie) a été élue en septembre 2022 en promettant un contrôle strict de l'immigration illégale jugée "massive". Giorgia Meloni souhaitait alors une "mission européenne, y compris une mission navale si nécessaire" pour empêcher les bateaux de migrants d'atteindre l'Italie.
"La seule façon d'arrêter l'immigration clandestine est le blocus maritime, c'est-à-dire une mission européenne en accord avec les autorités nord-africaines. Il n'y a que comme ça qu'on pourra mettre un terme aux départs illégaux vers l'Italie et à la tragédie des morts en mer", avait-elle déclaré en août 2022, rappelle le site d'information InfoMigrants.
Une proposition jugée irréaliste. En 2023, le nombre de migrants illégaux (155 754) a doublé en Italie par rapport à l'année précédente. "Depuis que la leader d'extrême droite est arrivée au pouvoir, des guerres ont éclaté, des coups d'État ont eu lieu au Sahel. Foto-Sara Prestianni / Noborder Network, Wikimedia commons.