"Une récupération politique tout à fait inacceptable": Jean Castex a fustigé mercredi le soutien apporté par Marine Le Pen à une tribune radicale de militaires, qui, au passage, met à mal
l'entreprise de normalisation de la présidente du RN en vue de la présidentielle. Alors que plusieurs centaines de militaires, dont des généraux à la retraite, se disent prêts, dans Valeurs Actuelles, à intervenir face au "chaos croissant" qui règne à leurs yeux en France, le Premier ministre a d'abord condamné "avec la plus grande fermeté" une "initiative qui est contraire à tous nos principes républicains, à l'honneur et au devoir de l'armée". Ciblant précisément Mme Le Pen, candidate à l'Elysée, il s'est ensuite demandé "comment des gens, et Marine Le Pen en particulier, qui aspirent à exercer les responsabilités de l'Etat" peuvent "cautionner une initiative qui n'exclut pas de se retourner contre l'Etat républicain".
La présidente du Rassemblement national avait, deux jours après cette tribune publiée le 21 avril, invité les militaires signataires à se "joindre à notre action pour prendre part à la bataille qui s'ouvre". Elle leur a renouvelé mardi son soutien, assurant que les "problèmes se règlent par la politique" mais déplorant "la fermeté" du gouvernement à leur égard, alors que la ministre de la Défense Florence Parly a demandé des sanctions. Face aux critiques de la majorité et de la gauche, la présidente du RN a dit garder "le calme des vieilles troupes face aux agitations gauchistes", expression souvent employée par son père Jean-Marie Le Pen.
Y compris dans le conflit qui les a opposés en 2015 et s'est terminé par l'exclusion du co-fondateur du FN pour ses propos controversés sur la Shoah. Le numéro deux du parti Jordan Bardella a accusé mercredi soir l'exécutif d'être "dans l’injure, dans l’insulte" alors que les Français sont "encerclés par la violence". "La France d'Emmanuel Macron ressemble de plus en plus à une dictature () où on ne peut plus rien dire", selon lui. Le candidat du RN aux régionales en Paca, Thierry Mariani, a assuré qu'il pourrait signer la tribune, s'étonnant que "Mme Assah Traoré ait le droit de s'exprimer tous les jours" alors que "les militaires devraient fermer leur gueule". - "Bruit de bottes" - Le texte, signé mercredi par 8.105 militaires et publié 60 ans jour pour jour après le putsch d'Alger, et 19 ans après l'accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle en 2002, a été initié par un ancien capitaine de gendarmerie Jean-Pierre Fabre-Bernadac qui a dirigé le service d'ordre du FN en 1993-1994, selon le site de l'Essor de la gendarmerie.
"Chassez le naturel, il revient au galop", a commenté Jean Castex. "Madame Le Pen, elle a gardé de son père le goût des bruits de bottes", a estimé le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. "On voit bien là le vrai visage du Rassemblement national, c'est un parti de putschistes", a abondé la ministre Marlène Schiappa. Les parlementaires Insoumis ont, pour leur part, demandé des "poursuites" contre les auteurs et diffuseurs de la tribune. Les Verts ont réclamé "une action judiciaire" et le PS des "sanctions exemplaires". A droite, le député LR Guillaume Larrivé a jugé que Marine Le Pen n'était "pas capable d'assumer les fonctions de cheffe de l'Etat et cheffe des armées parce qu'un chef de parti ça ne doit pas appeler des militaires à s'engager dans un combat politique". - Grand remplacement - Deux anciens généraux signataires Christian Piquemal et Antoine Martinez militent auprès de l'écrivain Renaud Camus, partisan de la théorie controversée du "grand remplacement". M. Martinez est par ailleurs président des Volontaires pour la France, dont une partie des militants a fondé l'Action des Forces Opérationnelles (AFO), groupuscule démantelé récemment alors qu’il préparait des actions violentes.
"C'est le signe qu'il y a encore de la radicalité qui perce sous la +dédiabolisation+" entreprise par Marine Le Pen, note le politologue Jean-Yves Camus. Dans son programme, la dirigeante d’extrême droite n'assume pas l'hypothèse d'une guerre civile ou d'une intervention militaire. "Dire à des militaires semi-factieux +venez avec moi+ ce n’est pas tout à fait la même ligne", note M. Camus. AFP