Paris a menacé vendredi de "réduire" ses livraisons d'électricité à Jersey en raison de la crise post-Brexit liée à la pêche, première piste concrète de rétorsion après dix jours de bras de fer entre
Londres et Paris.
"Réduire les livraisons (d'électricité à Jersey) c'est possible, couper le courant à chaque habitant de Jersey cet hiver, cela n'arrivera pas", a déclaré le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, Clément Beaune, sur la chaîne BFMTV.
L'accord obtenu par le négociateur de l'UE, Michel Barnier, sur le Brexit prévoit un "accord d'export sur l'énergie", a-t-il relevé. "Donc on peut réguler les flux. Je ne souhaite pas qu'on en arrive là. C'est une des possibilités politiques".
La veille, le ministre des Affaires étrangères de Jersey Ian Gorst avait dénoncé les menaces "inacceptables" et "disproportionnées" de la France qui avait laissé entendre qu'elle pourrait couper le courant à l'île anglo-normande, alimentée par des câbles sous-marins partant des côtes françaises.
"Cela reviendrait à couper la fourniture d'énergie à 108.000 îliens, à notre hôpital et à nos écoles", avait-il souligné, estimant que cela n'arriverait pas et assurant que Jersey avait un plan de secours au cas où cette menace serait mise à exécution.
L'accord post-Brexit, conclu in extremis à la fin de l'année dernière entre Londres et Bruxelles, prévoit que les pêcheurs européens puissent continuer à travailler dans certaines eaux britanniques à condition d'obtenir une licence, accordée s'ils peuvent prouver qu'ils y pêchaient auparavant.
Dans les zones de pêche encore disputées (zone des 6-12 milles des côtes britanniques et îles anglo-normandes), Londres et Jersey ont accordé au total un peu plus de 200 licences définitives, alors que Paris en réclame encore plusieurs centaines.
- "Ils ont raté le Brexit" -
La France cherche à créer un "front européen" contre le Royaume-Uni, sans pour le moment susciter de réaction officielle des autres Etats membres.
La Commission européenne a quant à elle dit regretter le nombre "limité" de licences octroyées, estimant avoir "fourni toutes les preuves disponibles et pertinentes qui démontrent l'activité historique" des licences françaises en cours et invitant Londres à "partager sa méthodologie".
Elle s'est en revanche refusée à tout commentaire "sur une éventuelle prochaine étape si ces discussions n'aboutissent pas au résultat souhaité", réaffirmant mercredi par la voix de sa porte-parole Dana Spinant que la Commission était engagée dans des "discussions constructives avec toutes les parties".
Les positions des autorités britanniques et françaises semblent difficilement conciliables, les premières estimant qu'elles ne peuvent aller plus loin sur ce dossier "technique", les secondes jugeant que le conflit est désormais "politique".
"Nous ne pouvons pas fournir des licences si nous n'avons pas les informations et les preuves" montrant que ces bateaux "respectent les termes de l'accord commercial", a martelé Ian Gorst, rappelant que Jersey avait accepté "les données de journal de bord" des pêcheurs français pour les petits bateaux qui ne peuvent pas fournir de données GPS.
Des arguments balayés par la France, qui estime que les pratiques britanniques relèvent surtout de la "mauvaise volonté".
Paris a une nouvelle fois reproché au Royaume-Uni de vouloir masquer les difficultés post-Brexit auxquelles il est confronté en cherchant le "conflit" avec les Européens. "Ils ont raté le Brexit, c'est leur choix et c'est leur échec, c'est pas le nôtre", a déclaré Clément Beaune.
L'heure est donc à la préparation de mesures de rétorsions, appelées de leurs voeux par tous les comités de pêcheurs en Manche. Le ministère de la Mer mène des consultations et liste les pistes - qui vont de l'énergie à l'accueil d'étudiants en passant par des taxes et des entraves au débarquement de poisson britannique dans les ports français -, avant l'annonce de décisions dans la seconde quinzaine du mois d'octobre. AFP