Les violences économiques au sein des couples, un "indicateur de danger" pour les femmes

 

Le vol de salaire, l'interdiction de travailler, le contrôle ou même la répartition inégale des dépenses persistent dans les relations conjugales. En France, malgré les avancées de la loi Rixain en

2021, ces violences économiques subsistent. Les dispositifs de détection font défaut, alors qu'ils pourraient sauver les femmes victimes de violences conjugales.

Ces violences font partie des six formes de violences conjugales constatées, se situant après les violences psychologiques, verbales ou physiques. Selon la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF), gérante de la ligne d'écoute 3919, environ 26 % des femmes ont signalé avoir subi des violences économiques en 2022, marquant une augmentation d'un point par rapport à 2021.

Solidarité Femmes, qui a rendu public son rapport annuel le 22 novembre, et l'équipe de la ligne d'écoute nationale pour les femmes victimes de violences sexistes en général, et conjugales en particulier, ont pris en charge un total de 93 005 appels l'an dernier au 3919. Elles ont constaté la précarisation des femmes suite aux violences subies.

"Ces violences peuvent revêtir différentes formes, telles que l'interdiction pour la femme de travailler, mais également la confiscation des ressources du foyer par l'auteur des violences, comme les allocations familiales et le salaire, empêchant ainsi les femmes de quitter l'agresseur. Parfois, elles n'ont même pas de compte bancaire", explique Françoise Brié, directrice générale de la FNSF.

Vingt euros par semaine donnés par son mari "Il s'agit d'une forme pernicieuse de violence", poursuit-elle. Les équipes de Solidarité Femmes ont notamment recueilli le témoignage d'une mère de famille à qui on attribuait 20 euros par semaine pour subvenir à ses besoins alimentaires et à ceux de ses enfants, dans une famille pourtant aisée.

Ces violences se déroulent au sein du foyer mais peuvent aussi perdurer après la séparation, avec le non-paiement de la caution ou des actions judiciaires répétées contre des femmes sans ressources ou à faibles revenus.

Héloïse Bolle, autrice de "Aux thunes citoyennes !", rappelle qu'une organisation financière défavorable aux femmes au sein du foyer peut également être considérée comme une forme de violence économique. "Quand une personne vit avec un conjoint gagnant beaucoup plus d'argent et qu'il impose de partager les dépenses à parts égales malgré cela, cela contribue à appauvrir la femme et entrave son enrichissement en l'empêchant d'épargner", explique-t-elle.

Une enquête IFOP pour la newsletter féministe "Les Glorieuses" a révélé fin octobre que 16 % des femmes étaient concernées par ce type de violence. "Beaucoup se sont retrouvées dans des situations financières difficiles, car elles ont accepté ce genre d'organisation, souvent sans y avoir pensé au préalable", alerte Héloïse Bolle. Selon elle, de nombreuses victimes ne sont pas conscientes des violences économiques subies.

"Indicateur de dangerosité" Françoise Brié constate une moindre détection des violences économiques. Or, cela constitue un "indicateur de dangerosité". "Ces violences sont souvent associées aux violences physiques ou peuvent être un signe précurseur à ne pas négliger", met-elle en garde.

Pour lutter contre ce phénomène, la newsletter "Les Glorieuses" propose un test en ligne et un baromètre spécial, similaire au "violentomètre", soulignant ce qui relève ou non des violences ainsi que les signes d'alerte pour les victimes.

L'étude commandée par "Les Glorieuses" et publiée fin octobre a révélé que 16 % des femmes ayant été en couple ont subi ou subissent un contrôle de leurs finances par leur partenaire. Le rapport indique également que 41 % des femmes ayant été en couple ont connu au moins une fois une forme de violences économiques.

Parmi les solutions avancées par Solidarité Femmes, "il serait nécessaire de mieux définir les violences économiques et de sensibiliser dans les institutions bancaires".

Pour "Les Glorieuses", l'augmentation du salaire des femmes pourrait constituer une réponse, sachant qu'une femme a deux fois plus de chances d'être victime de violences économiques conjugales si elle gagne moins que son conjoint. Cette situation est fréquente : l'écart salarial entre les deux sexes demeure à 15,4 % en France.

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Manque de ressources pour les associations Les acteurs sur le terrain relèvent quelques progrès ces dernières années, notamment avec la loi Rixain de 2021, qui exige que les entreprises versent le salaire uniquement sur un compte bancaire détenu ou codétenu par le salarié. Cette loi permet également de choisir un taux d'imposition individualisé, réparti équitablement selon le salaire de chaque membre du couple.

La déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), excluant désormais les revenus du conjoint du calcul de cette aide, contribue également à prévenir l'emprise sur les femmes en situation de handicap.

Sans oublier l'entrée en vigueur, à partir du 1er décembre, d'une aide financière d'urgence votée en février au Parlement. Les femmes victimes de violences conjugales, déposant une plainte ou disposant d'une ordonnance de protection, pourront ainsi solliciter un soutien financier de 250 à plus de 1 300 euros par mois, selon leurs revenus et leur situation familiale. La ministre en charge de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Bérangère Couillard, a promis samedi que cette "aide directe" serait "versée en trois à cinq jours par les Caisses d'allocations familiales (CAF)".

Pour les associations venant en aide aux femmes victimes de violences conjugales, l'accompagnement vers l'autonomie financière est crucial : démarches de retour à l'emploi, accès au logement, etc. Ces associations sont de plus en plus sollicitées, avec une augmentation de 15 % de ces violences sur un an.

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"Les femmes ont fait leur part en déposant plus de plaintes, mais il faut être bien plus efficace dans l'accompagnement et la protection" des victimes, estime la présidence de la Fondation des femmes, Anne-Cécile Mailfert, interrogée par l'AFP. "Sur le terrain, on voit des associations épuisées, submergées de demandes et certaines sont au bord de la faillite" : elles ne parviennent plus à offrir un soutien et un hébergement aux victimes et attendent désespérément un soutien financier de l'État ou des collectivités locales, alerte-t-elle. Foto-Lionel Allorge, Wikimedia commons.